Vents,reliefs et paysages
en Languedoc-Roussillon



L'étang de Pujaut, gigantesque dépression éolienne

Le Mistral, orienté pratiquement nord-sud, possède ici ses intensités maximales. Sur la rive droite du Rhône, il vient butter de plein fouet sur le versant nord de la barre calcaire de Roquemaure.
Pendant les périodes froides, il a déposé à son pied, sous forme de dunes d'une dizaine de mètres d'épaisseur, les sables dont il était chargé. Le calcaire dur du sommet de l'obstacle, siège classique de turbulences éoliennes, est abrasé par les sables de nombreuses can-nelures qui prennent, vers l'Est, le relais des galets de quartzites éoli-sés du bois de Clary. Au sommet du versant sud, neige et sables mêlés se déposent, les flux éoliens tourbillonnent, devenant aptes, si des terrains tendres affleurent sous le vent, à développer des dépres-sions éoliennes.

Ce cas d'école se répète au niveau de tous les petits massifs proven-çaux ouest-est (Alpilles, collines de l'étang de Berre) perpendicu-laires au Mistral. Mais la barre de Roquemaure y ajoute sous la forme d'un couloir linéaire (la percée de Saint-Laurent-des-Arbres) étroite-ment calqué sur la direction du vent, un prodigieux effet Venturi, qui chenalise et renforce les vents de sables jusqu'au-delà du massif de l'Aspre, dernier pertuis s'ou-vrant sur l'étang de Pujaut.

L'ensemble forme une immense cuvette, sans exutoire naturel, de 12 km de long sur 4 de large, soit une superficie de 1 100 ha. Elle représente, si l'on réduit le calcul à l'emprise du seul étang de Pujaut, un volume de 275 millions de m 3 . C'est le Mistral, par son mouve-ment tourbillonnaire vers l'est, à l'abri de la colline de l'Aspre, puis à son déplacement circulaire au sein des sables et argiles pliocènes, qui a creusé ce chapelet de dépressions éoliennes alignées.

Alimentées en eau, en particulier par une source karstique importante (source des Fontaines), elles ont été occupées par des étangs ou des lacs jusqu'en 1 611. Plus tard, le creuse-ment du tunnel-canal du Four en a permis la vidange vers le lit du Rhône situé en contrebas. Mais les trois étangs jumeaux de Pujaut, Rochefort, La Plaine, possèdent sur leurs rives les traces d'une longue histoire, imputables elles aussi aux bourrasques de vents de sables des périodes froides. Après la phase initiale de creusement des dépressions fermées dans les sables pliocènes, les argiles sous-jacentes imperméables permirent l'installation de plans d'eau durables. Les tourbillons éoliens créèrent des houles et des dérives, ajoutant à l'action du froid, celle des mécanismes de l'érosion littorale.
Carte des reliefs linéaires,
couloirs sans rivières et dépressions associées,
dont la direction est étroi-tement contrôlée par la direction du mistral.
Région d'Istres (Bouches-du-Rhône).

Les éboulis de l'escarpement est de l'étang de Pujaut, frappés de plein fouet par les vagues, ont été déblayés laissant la base de la falaise à nu. L'érosion y a développé un replat qui tranche, sur 150 mètres de large et plus d'un kilomètre de long, les lits en bancs très redressés du versant cal-caire initial. Les matériaux calcaires enlevés ont été alors transportés et redistribués sous forme de galets aplatis dans l'arc curviligne de la Grave, limite sud de l'étang de Pujaut. C'est un véritable cordon littoral lacustre, qui culmine à 58 m NGF, sensiblement vingt mètres au dessus du fond de l'étang, ce qui correspond à l'épaisseur vraisemblable de ce plan d'eau.

Les dépressions sans influence structurale marquée

En Minervois ou en Biterrois, dans un environ-nement géologique argilo-sableux, les cuvettes éoliennes sont rondes ou ovoïdes, comme si le vent tourbillonnant n'était perturbé par aucune contrainte structurale. C'est le cas de la dépres-sion du château de Poussan, au sud-est de Béziers, et de plusieurs dépressions dans les Costières du Gard, la plaine du Roussillon et le Minervois (Jouarres). Au contraire, dans les roches dures, quelque soit l'échelle des phénomènes (cupules centimétriques des galets ou roches éolisées, ou dépressions fermées hectométriques) leur mor-phologie est identique. La dépression de Quinsanne, sur la rive ouest de l'étang de Berre, peut être prise comme l'exemple-type des cuvettes fermées en roche semi-résistante. Elle possède deux versants allongés linéaires parallèles au vent et deux versants concaves, plus courts, sous et au vent. Le versant au vent, là ou s'exerce l'érosion maximale, est plus abrupt, l'autre est plus évasé, fuyant. Cette morphologie se retrouve sur les cannelures centimétriques des calcaires durs de Pujaut ou du Roc de la Batterie de Saint-Pierre-la-Mer. Dans tous les cas ou elle est présente, cette dissymétrie marquée permet de reconnaître facilement le sens du vent, acteur de l'érosion.

Les reliefs linéaires

Trous de lithophages de la mer pliocène éolisés par les vents de période froide, Pujaut (Gard).
La dépression de Pujaut et celles de la basse-vallée de l'Aude (étangs de Vendres, de la Matte, de Capestang et de Marseillette) sont les plus vastes cuvettes éoliennes de notre région. Il existe éga-lement des formes plus modestes. Leur organisation en lignes parallèles est emblématique des paysages façonnés par le vent. On peut en observer un exemple très caractéristique sur la rive ouest de l'étang de Berre, avec les paysages com-posés des molasses miocènes d'Istres et de Saint-Chamas.

On en retrouve aussi une réplique plus modeste en Languedoc, dans le Carcassonnais, où inter-viennent alternativement le vent du nord et le vent d'autan. Les barres de grès éocènes [*8] , faconnées en un relief linéaire, sont très nom-breuses sur le versant sud de la Montagne Noire. Citons celles situées à l'Ouest de la dépression fer-mée de Marseillette et celles des collines du triangle Ventenac-Pennautier-Villegailhenc. Dans ce dernier exemple, la structure géologique étant de même direction que le Cers, les "dos de baleine" éoliens sont très bien exprimés, image conforme des reliefs linéaires des déserts chauds. L'association de reliefs linéaires et de dépres-sions ovoïdes est un grand classique des paysages façonnés par le vent. A l'échelle du Midi de la France, il convient de citer les exemples de la rive ouest de l'étang de Capestang (Ambert, 1 994) ou du nord de la région de Saint-Chamas, dans les Bouches-du-Rhône. Dans le premier de ces deux secteurs, une succession de vallées linéaires sans rivières, sont orthogonales à la grande dépres-sion éolienne, ou s'inscrit l'étang de Capestang. Les paysages du piémont néogène [*9] , entre Marseillan et Mèze, sont aussi tout à fait carac-téristiques de ce même état de fait. Ici, des formes ovoïdes (le Sesquier, les Prés Bas et le Grand Salin), sont intégrées dans un réseau hydrogra-phique linéaire, parallèle au Cers. Ces topographies se prolongent sous l'étang de Thau. Les cartes sous-marines permettent d'y reconnaître des secteurs semblables à des vallées et des élargissements, dont le calibre correspond aux dépressions ovoïdes émergées. L'étang des Onglous, à l'Ouest, en est le plus bel exemple régional.

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